Aujourd’hui, de façon populaire et notamment dans notre société occidentale, la pratique du yoga est souvent réduite à la pratique posturale (āsana).
S’il s’agit bien de l’un des aspects du yoga, ça n’est en réalité qu’une partie d’un tout bien plus complet.
Dans les Yoga-Sūtra, Pataňjali expose les huit membres/piliers du Yoga (Ashtanga) qu’il convient d’explorer progressivement afin de se libérer de la souffrance (qui est, rappelons-le, l’objectif du Yoga) :
- Yama : 5 éléments d’autodiscipline relationnelle
- Nyama : 5 éléments d’autodiscipline personnelle
- Asana : autodiscipline corporelle et posturale
- Pranayama : autodiscipline du souffle
- Pratyahara : le retour vers l’intérieur
- Dharana : la concentration
- Dhyana : le lâcher-prise
- Samadhi : l’harmonie = l’état de yoga
Les huit membres du yoga sont exposés en décrivant une logique qui commence par le plus externe, le plus grossier et qui se dirige progressivement vers l’intérieur, le plus subtil.
Dans les Yoga-Sūtra, trois aphorismes sont consacrés à la discipline corporelle.
Voici comment ils sont expliqués selon la traduction et les commentaires de Frans Moors :
II 47. La posture est ferme et agréable
« La posture est la partie visible de l’iceberg du yoga. Elle n’existe que lorsque ces deux qualités sont pleinement réunies : sthira et sukha.
Sthira est la fermeté mentale, la présence à l’instant, la figilance intérieure, la régularité du souffle, la stabilité physique …
Sukha indique le bien-être , la fluidité du souffle dans une attitude agréable, confortable, aisée, génératrice de joie et de plaisir. C’est l’opposé de Duḥkha, la souffrance.
Les caractères sthira et sukha se complètent et se renforcent : la posture est ferme parce qu’elle est agréable, et agréable parce que ferme.
La définition montre que l’āsana est plus qu’un simple exercice physique, c’est une attitude de l’ensemble de la personnalité, dans la pratique posturale comme dans la vie quotidienne. »
II 48. Combinant à la fois un effort intelligent et décontracté, et la méditation sur les qualités de Ananta.
« Patanjali donne la méthode. L’effort est présent, mais pas n’importe lequel. Il s’agit d’une tentative appropriée, intelligente, bien adaptée, qui s’intègre au relâchement des tensions inutiles. La décontraction existe parce que l’effort est juste.
Ces qualités concernent aussi la dimension respiratoire : effort juste et détente de la respiration. Le souffle n’est ni forcé, ni rugueux, ni saccadé.
La méditation sur l’infini (Ananta) montre la présence d’une grande intériorisation.
L’expérience vise le dépassement de l’égo, dans une harmonie infinie, une intériorisation sur la Source de vie éternelle, cachée au plus profond de nous, et dont l’énergie vitale (prāna) est l’un des attributs. »
II 49 . En conséquence, il n’y a plus de perturbation consécutive aux couples opposés.
« Après la définition et la méthode de l’āsana, Patānjali présente le fruit : le yogin atteint une aisance totale, une stabilité sans faille. Les situations des plus extrêmes ne peuvent plus le déstabiliser. Succès ou échec, chaud ou froid, vie ou mort… Il conserve en tous lieux et en tous temps un équilibre intérieur parfait.
L’aphorisme est riche d’enseignement pour tous les pratiquants de yoga, quel que soit leur niveau. La pratique posturale se mesure en termes d’assise intérieure, la souplesse et les contorsions n’y sont pour rien.
Toute pratique qui éloigne de cet objectif de stabilité intérieure ne s’inscrit plus dans le contexte de la pratique du yoga. »
Ces explications font ressortir des éléments importants qu’il convient de retrouver dans la pratique posturale du yoga :
- L’intention : Poser une intention, définir un cap qui viendra contenir le mouvement, le souffle et l’agitation du mental. L’intention est le premier pas vers une pratique vivante et pleine de sens.
- Le souffle : Le souffle doit être fluide et pouvoir circuler librement. Il n’existe pas de pratique posturale du yoga sans lien au souffle, c’est lui qui diffuse la force de vie (prāna). En lien à la pratique posturale, il favorise la conscience du corps et de l’instant présent.
- La non-violence (ahimsa) : Cette notion s’applique à tous les niveaux et est explorée dans les yamas (1er membre du yoga). Cependant, elle doit être également présente sur le tapis dans la pratique posturale. S’observer, accueillir, accepter les variations et les limites du corps, ne pas vouloir réaliser une posture à tout prix sous peine de se faire mal.
- L’espace : Se rendre disponible, s’ouvrir et ouvrir des espaces en soi pour accueillir les sensations, les émotions, l’expérience.
- Le mouvement : S’il est contenu dans tout le reste, il peut alors exister et révéler les trésors de la pratique posturale.
En prenant en compte ces dimensions, on s’éloigne d’une simple pratique de gymnastique. La pratique posturale du yoga (āsana) devient un véritable support de méditation et d’exploration de soi. A partir du tapis, les concepts qui se révèlent peuvent alors être explorer dans le quotidien. A son tour, le quotidien vécu en conscience apportera de la matière à la pratique sur le tapis. Ce cercle vertueux permettra au yogini de cheminer sur la voie du yoga.